Baselworld 2016 : « qu’est-ce qu’une montre connectée ? »

Anthony Nelzin-Santos |

« Qu’est-ce qu’une montre connectée ? » C’est avec cette question en tête que nous nous sommes rendus à Baselworld. Nous nous doutions qu’elle serait souvent reçue, dans ce temple de l’horlogerie et de la joaillerie, par des froncements de sourcils et des haussements d’épaules. Mais nous ne doutions pas qu’une des réponses les plus intéressantes viendrait d’un représentant de Rolex : « ce n’est tout simplement pas une montre. »

N’allez pas croire qu’il s’agissait seulement d’une boutade un brin arrogante : c’est une vérité profonde qui explique le malaise de certains horlogers face à ce nouvel objet. Guy Sémon, le directeur général de Tag Heuer, nous l’expliquait ainsi :

Il faut se poser la question : « c’est quoi, une montre connectée ? » Si on dit que la Carrera Connected est une montre, c’est parce qu’on la porte au poignet. Mais à l’intérieur, il y a un ordinateur.

Vous n’achetez pas une montre parce que vous avez besoin de l’heure, vous achetez une montre parce que vous la trouvez belle, parce qu’elle marque un statut, parce qu’elle vient avec une histoire… Vous achetez un ordinateur parce que vous êtes gamer, parce que vous avez besoin d’un traitement de texte, parce que vous voulez surfer sur internet. D’un côté, on a des gens qui vendent des produits sur la base d’une émotion ; de l’autre, on a des gens qui achètent des produits sur la base de leur utilité.

Nous pensons que le plus important dans une montre, c’est ce qui se voit. Nous attaquons par l’esthétique de la boîte, et dedans, nous mettons le top de la technologie.

Tag Heuer Carrera Connected.
Tag Heuer Carrera Connected.

Mais concevoir une montre connectée, ce n’est pas simplement mettre de l’électronique dans la boîte d’une montre — c’est repenser la nature même d’un objet avec lequel on forme un lien d’autant plus intime qu’on le porte à son poignet. Les premières montres connectées reprennent pourtant la forme des bons vieux garde-temps : on peut ici véritablement parler de skeuomorphisme.

Leur forme n’est pas seulement familière et rassurante, elle aide aussi à suggérer leur utilisation. Même si l’utilisateur néophyte ne sait pas exactement à quoi servent la couronne de l’Apple Watch ou la lunette de la Samsung Gear S2, il aura intuitivement envie de les tourner. Mais la manière de se raccrocher au passé pour envisager le futur diffère de fabricant en fabricant : aucune solution ne s’impose encore comme une évidence.

Apple Watch.
Apple Watch.

Une première tendance consiste à glisser un écran sous les aiguilles, ou du moins sur une partie du cadran. Les premières montres connectées, comme celles de Cookoo et de Martian, adoptaient déjà cette disposition, reprise des montres analogiques-numériques qui faisaient fureur dans les années 1990. On la retrouve évidemment chez Casio, et bien sûr chez Tissot, dont la première montre connectée prendra la forme de la populaire T-Touch.

Les premières montres connectées sous licence Ferrari et Tommy Hilfiger exploiteront la même idée, comme d’autres montres du groupe Movado conçues avec HP, et comme la smartwatch d’Isaac Mizarahi. Kairos préfère mettre un écran transparent au-dessus des aiguilles, une coquetterie qui semble toujours lui poser des problèmes, deux ans après l’annonce de sa montre. Soprod planche de son côté sur un mouvement qui exploiterait des repères sur le cadran, une approche encore légèrement différente.

Tissot Smart-Touch.
Tissot Smart-Touch.

La deuxième grande tendance, qui est aussi la deuxième chronologiquement parlant, consiste à circonscrire très précisément la portée des composants électroniques. Physiquement, d’abord, en les cachant comme les autres rouages. Fonctionnellement, surtout, en les cantonnant à certains usages très précis. Swatch s’intéresse au suivi de certains sports précis, mais surtout au paiement sans contact, comme Bulgari qui a dévoilé un partenariat avec WiseKey et Mastercard.

Le suivi d’activité s’impose toutefois comme l’application la plus populaire, peut-être parce qu’elle peut s’intégrer « naturellement » à la façon d’une petite seconde ou d’une réserve de marche, sans doute parce que des sociétés américaines et asiatiques fournissent algorithmes et composants. Les meilleurs exemples sont sans doute ceux de la Withings Activité et de la plateforme MMT conçue par Frédérique Constant.

Withings Activité.
Withings Activité.

Ceux-là pensent que le smartphone est l’« ordinateur générique » ultime, qu’un objet porté au poignet peut assister dans certaines tâches spécifiques, objet qui restera une montre. D’autres pensent au contraire que l’objet porté au poignet, qui ne restera pas nécessairement une montre, est appelé à empiéter sur le domaine réservé du smartphone. Ceux-là forment un gros contingent de la troisième tendance, celle qui vide la boîte des montres de leurs composants mécaniques pour y mettre des composants électroniques.

Ni les uns ni les autres n’imaginent que l’horlogerie suisse disparaisse, mais tous estiment qu’elle est appelée à se transformer profondément. Il est difficile de préjuger de l’avenir des montres mécaniques les plus raffinées, la lecture des résultats de l’industrie étant troublée par la hausse du franc et le contexte géopolitique. Mais les montres à quartz, sur une pente doucement descendante depuis 2011, et les montres de moins de 500 francs, durement touchées l’an passé, auront sans doute à souffrir de cette transformation.

Alpina Horological Smartwatch.
Alpina Horological Smartwatch.

Or cette transformation est d’autant plus difficile à anticiper qu’aucune tendance ne semble vouloir clairement prendre l’ascendant sur les autres. C’est toute la difficulté de ce nouveau marché : le choix de cet objet que l’on porte au poignet, que l’on appelle une « montre » par habitude, est tout à fait personnel. Il est tourné vers la personne qui le porte, mais visible de tous, il donne des informations pratiques sur son cadran ou son écran, mais dit quelque chose de plus ésotérique par sa boîte et son bracelet.

« Plus on parle d’horlogerie, électronique ou pas, mieux c’est », nous disait François Thiébaud. Le directeur de Tissot et président du comité des exposants suisses à Baselworld veut croire dans les chances de l’industrie suisse : elle sait « habiller le temps ». Sans directement concurrencer Apple et Samsung, elle peut se faire une place à leurs côtés — après tout, elle ne représente que 2 % des ventes de montres dans le monde, et pourrait se contenter d’un rang similaire dans un futur plus connecté.

« Nous ne sommes pas Apple, nous respectons Apple », nous confiait Guy Sémon, « nous faisons des métiers différents, et chacun doit faire son métier. Leur métier, c’est de faire des objets électroniques. Notre métier, c’est de faire des montres. À nous de défendre l’horlogerie, d’exploiter les technologies avec une interprétation esthétique et ergonomique suisse. » Pour finalement répondre à la question : « qu’est-ce qu’une montre connectée ? »

Notre couverture du Baselworld 2016 :


avatar Paquito06 | 

"Mais nous ne doutions pas qu’une des réponses les plus intéressantes viendrait d’un représentant de Rolex : « ce n’est tout simplement pas une montre. »"

L'article aurait pu s'arreter la. Tout est dit :)

avatar zanadoo | 

une montre de luxe ne sera jamais une apple watch et ne le sera jamais.
Quelle est la durée de vie d'une Apple Watch ?
Une rolex , c'est des dizaines d'années voir plus.
Apple fait du jetable : par exemple une montre Apple à 10 000 euros pour avoir une garantie de 36 mois non renouvelable, cela fait cher le jetable. A titre de comparaison chaque fois qu'une rolex part en révision (tous les 5 ans environ), elle revient avec une garantie de 2 ans !

avatar Paquito06 | 

@zanadoo :
J'utilise ma Rolex chaque jour et je la fais reviser une fois par an, ca fait pas de mal du tout (en fait c'est conseillé). Tous les 5 ans me parait trop. Sauf si c'est pas porté.

avatar bugman | 

@Paquito06 :
Chez Omega (si mes souvenirs sont bons) il me semble qu'ils préconisent 2 ans entre chaque révision. Là aussi garantie et les pièces changées sont retournés.

avatar Sulfate | 

"A Baselworld, on s'en fout des montres. C'est juste pour les chinetoques qui viennent vomir leur fondue sur les pavés."

- 120"

(ici : http://m.youtube.com/watch?v=d3LOUuG301U )

avatar MrCrvsr | 

@Sulfate :
Réviser une montre mécanique chaque année c'est quand même un peu du zèle, surtout pour une Rolex. Normalement, un service se fait tous les 3 à 5 ans...

avatar MrCrvsr | 

@MrCrvsr :
Ah, zut, la réponse était pour Paquito!

À quand l'édition des commentaires sur l'app?

avatar Paquito06 | 

@MrCrvsr :
Ça dépend des modeles et des marques en fait. Beaucouo de mecanismes different. J'en n'ai pas une complexe mais au moins elle tourne bien ^^

avatar tertez | 

Rolex qui a 14 ans, jamais révisée.
Pour info une révision chez Rolex coute le prix d'une apple watch, mais tu récupères ta montre en état neuf.

avatar Paquito06 | 

@tertez :
Je faisais ça chez Ferret en France (100€), y a pas d'Apple Watch a ce prix là :(
En Inde ca coute un bras car ici, y a pas ou peu de revendeurs agrees.

avatar guijou | 

Mon problème est le suivant : je suis fan de ma montre automatique, elle me survivra surement, et c'est en partie pour ça que je l'aime. Mais je suis tenté par une Apple Watch pour avoir mes notifications et autres services au poignet. Vraiment ça me tente. Mais on n'achete pas une Apple Watch pour ne la mettre qu'un jour sur deux, ça perdrait tout son sens... Et il est hors de question que je ne mette plus ma "vraie" montre. À moins de porter les deux, une a chaque poignet et d'avoir l'air idiot, je suis coincé. L astuce du bracelet connecté, comme l'a fait Mont Blanc (en moche certes) me semble pour l'instant la meilleure piste...

avatar Bruno de Malaisie | 

@guijou :
Je ne la mets pas un jour sur deux!!! Je porte mon AppleWatch tous les jours et nuits.
Mon autre montre est à la retraite...
Je l'offrirai à mon fils, très certainement.

avatar guijou | 

@Bruno de Malaisie :
Ça serait bien ça le problème, pas question de mettre ma montre à la retraite... ^^

avatar 0MiguelAnge0 | 

J'ai une montre d'une maison de Genève. J'ai aquis aussi une Garmin Fenix 3. Je ne reviendrai pas içi sur le pourquoi de pas avoir pris une Apple Watch ;)
Bref, j'ai mis la Garmin tous les jours pendant 2~3 mois. Les notifications au poignet, ok. Mais en pratique quand je bougais, avec manteau, veste et sac, mettre le nez sur l'écran, pas des plus pratiques. L'autonomie de 7 jours est bien mais toujours pas assez. Bref, j'ai remis au poignet ma belle mécanique et laissé ma Garmin pour le sport uniquement. Le suivi d'activité pour les sportifs/actifs 24h/24h, intérêt? En tout cas, pas mon kif...
En conclusion, je peux comprendre que certains soient accrocs. Mais j'aime me démarquer à 'l'heure' où les bracelets connectées pullulent aux poignets et autres montres intelligentes.
Depuis que j'ai remis ma mécanique, plusieures personnes m'ont pris le poignet pour l'observer et d'autres font souvent une fixette discrete dessus. Je pense comme les cafetières electriques à roulette, les gens se retourneront toujours à l'approche d'un V8 qui glougloute ou d'un V10 ou V12 qui hurlent la mort à hors régime.
Les belles mécaniques suisses vont perdurer et pour moi vont même profiter des smartwatches car cela reconforte les personnes attachées à l'histoire et aux traditions.
A commencer par moi qui vait me prendre une autre belle mécanique suisse...

avatar occam | 

Anthony, merci pour vos excellents reportages et interviews de la Baselworld. Vous avez posé les bonnes questions. Il me semble que vos interlocuteurs n'ont pas su donner les bonnes réponses. Même Guy Sémon a raté la sienne. Signe de désarroi ?

Essai de triangulation :

1. La nouveauté la plus marrante de la Baselworld, à mon avis :
l'Analog Reminder, de Stowa (Jürg Schauer).
https://www.stowa.de/lshop,inline,145886866326549,en,1458868707-26618,Infos.manufaktur,Basel2016,255,,.htm
Complètement analogique, elle tacle joliment les prétendues montres connectées des autres fabricants.
(Restons un instant chez Stowa : design de Hartmut Esslinger ; ça vous rappelle des souvenirs ? Frog Design, le maître d'oeuvre chez Apple première période, avant la déchéance puis Jonny Ive.)

2. Graphène au poignet : le patch électronique cutané qui détecte les variations du niveau de glucose et micro-injecte automatiquement la metformine.
http://www.medicalnewstoday.com/articles/308179.php
À terme, une des innombrables fonctionnalités evisageables pour une Apple Watch XX (si Apple veut bien s'arranger avec la FDA).

3. Le "Communicator" et le "TriCorder" du Star Trek de Gene Roddenberry au poignet.

Ces trois points de référence montrent le dilemme : l'espace au poignet est limité. Soit on y met une montre, soit un engin multi-fonctionnel miniaturisé (qui, par ailleurs, peut indiquer l'heure).
Je crois que l'heure de la "montre connectée" a non seulement sonné, elle est déjà passée. C'est un concept et un combat d'arrière-garde. L'industrie horlogère ne possède ni le know-how, ni surtout l'imagination pour innover dans ce domaine.

Il y a de bonnes raisons de vouloir porter une simple montre (mécanique). Il y a de plus en plus de raisons de porter un micro-terminal multi-fonctionnel. À part l'habitude et notre ankylose mentale, je trouve peu plausible de mélanger les genres.

avatar Paquito06 | 

Aussi, qu'en est il de la resistance des verres Apple Watch?
Une Rolex au verre Saphir prend deja tarif et un simple polissage ne suffit pas, faut changer le verre au bout d'un certain moment.

avatar gwen | 

Il y a encore des gens qui porte des montre normales ? Wahoo.

C'est bien de soutenir le petit commerce de proximité. Bravo à vous.

En tout cas, les seules personnes que je connaisse qui utilisent encore des montres à aiguille collectionne les Swatch. Pas des montres qui coûtent 10 à 100 fois le pris d'une Apple Watch.

On ne doit pas vivre dans le même monde. Mais bon tant qu'il y aura des gens pour mettre autant de pognon dans un objet aussi basic, les horlogers Suisse et consort auraient tort de s'en priver.

Même si je travail dans la pub, je n'estime pas avoir rater ma vie parce que je n'aurais pas de Rolex a 50 ans.

avatar en ballade | 

@gwen :
Tu comprends pourquoi Appl€ essaie de se positionner comme modèle de luxe. Appl€ est le seul constructeur à faire un produit de masse Made in china, et faire croire à ses clients que c'est du Made in swiss. Tout cela juste pour un écran carré pas très joli.

avatar Sulfate | 

@en ballade :
Comment prendre au sérieux un ado qui écrit "Appl€" ?

avatar Paquito06 | 

@gwen :
Quand on travaille dans la pub il faut plutot etre ouvert d'esprit non? ...
Il faut de tout pour faire un monde. Quand je travaillais en horlogerie/joaillerie, j'ai vendu des montres a la pelle, dont certaines qui pouvaient atteindre le demi million d'euro, a des gens qui collectionnaient les petites voitures rouge.
Il y a un marche pour tout, aussi petit soit il, et tout argent est bon a prendre. Sauf en France apparemment ou c'est tabou...

avatar 0MiguelAnge0 | 

@gwen :
La citation exacte est à 40ans...

Et tu dois aussi marcher pour ne pas engraisser ces monarchies du Golf?

Tu devrais elargir ton cercle social. Les ghetos idéologiques produisent des frustrés.

avatar ysengrain | 

Je ne démordrai pas du fait qu'une montre DONNE l'heure et ne la vend pas.

avatar 0MiguelAnge0 | 

@gwen :
La citation exacte est à 40ans...

Et tu dois aussi marcher pour ne pas engraisser ces monarchies du Golf?

Tu devrais elargir ton cercle social. Les ghetos idéologiques produisent des frustrés.

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