Simband, le bracelet de Samsung qui voulait impressionner l'Apple Watch

Florian Innocente |

Intéressante histoire que raconte Fast Company sur la manière dont Samsung s'est activé dans le développement d'une plateforme santé en vue d'en découdre avec Apple mais en surestimant ce qu'allait finalement proposer la première Apple Watch.

Simband, crédit : CNET

La montre d'Apple fut commercialisée en avril 2015 et c'est en septembre 2014 que Tim Cook la dévoila, mettant fin à une longue période de rumeurs. Samsung, qui avait déjà des montres et produits connectés en vente, redoutait qu'Apple ne fasse sa grande annonce début juin, lors de la WWDC 2014. Alors, le 28 mai, le géant sud-coréen organisa un rendez-vous presse à San Francisco avec l'espoir peut-être de couper l'herbe sous le pied de son concurrent (manque de chance, Apple avait bien une grosse actualité sous le coude pour le même jour : l'acquisition de Beats pour 3 milliards de dollars).

Ce qui fut présenté lors de l'événement "The Voice of you Body" n'était un produit fini mais un aperçu de ce qui se tramait chez Samsung : un prototype de bracelet électronique, le "Simband", ainsi que "SAMI" (pour Samsung Architecture for Multimodal Interactions), un service dans le nuage où seraient stockées les données physiologiques des utilisateurs du Simband.

Ce Simband est une plateforme matérielle de référence, un design de bracelet dont les développeurs et fabricants peuvent s'emparer pour le doter en capteurs de toutes sortes et tout particulièrement à visées médicales.

Lors de la présentation de Samsung, le premier bracelet développé était attaché à une grosse montre type Gear. Ses capteurs étaient particulièrement pointus, capables de mesurer par exemple les variations de la circulation sanguine (photopléthysmogramme), de réaliser un électrocardiogramme, de vérifier la pression sanguine. Des mesures suffisamment fines pour que le produit puisse être utilisé dans un contexte clinique.

Une source de Fast Company explique que durant les années qui précédèrent la présentation de l'Apple Watch, la direction de Samsung s'inquiétait de ce qu'Apple préparait dans son coin.

Ces dirigeants craignaient qu'Apple puisse d'emblée prendre le large dans la course aux montres connectées en sortant un dispositif équipé de capteurs suffisamment performants pour un usage en clinique. Les capteurs de la montre d'Apple, pensaient ces responsables, pourraient prendre des mesures de santé bien plus pointues que les simples compteurs de pas des appareils déjà disponibles. Ils croyaient que les capteurs de la montre d'Apple sauraient fournir des mesures très précises de choses comme la pression artérielle ou le niveau d'oxygène dans le sang.

Samsung voulait battre Apple à son propre jeu et « en particulier faire l'annonce d'un produit avant celle de l'Apple Watch », raconte un ingénieur. Francis Ho, vice-président du Samsung Innovation and Strategy Center (SSIC) réfute toutefois l'idée que le Simband était une réponse à Apple, pour la simple raison que « personne ne savait vraiment ce qu'ils préparaient, on était donc plutôt intéressés par jouer en attaque qu'en défense ».

Samsung voulait créer un produit qui, au-delà de son intérêt propre en tant que montre connectée, puisse intéresser les gens soucieux de leur bien-être. Le projet, placé sous la supervision d'une division spécialisée dans les composants, obtint un feu vert. Les développements commencèrent à l'été 2012 dans un nouvel espace installé dans la Silicon Valley.

L'équipe travaillait avec d'autres entreprises, néerlandaise et israéliennes, spécialisées dans différentes sortes de capteurs (mesure sanguine, 3D, sommeil, sans-contact…). En 2013, ce projet fut pris en charge par Ram Fish qui venait de passer 18 mois dans l'équipe iPod. Au plus fort de son activité, cette initiative rassembla 8 ingénieurs de Samsung qui coordonnaient les travaux de 50 autres personnes chez leurs partenaires.

Alors que les rumeurs d'une annonce de l'Apple Watch se faisaient pressantes, Samsung organisa son événement "The Voice of the Body", un intitulé qui décrivait l'idée que se faisait Ram Fish de l'utilisation de ces bracelets, aptes à écouter, retranscrire et partager les données physiologiques des utilisateurs.

L'article explique ensuite que les dirigeants de Samsung furent surpris par l'avancée de ce petit projet conduit aux États-Unis. Cela provoqua aussi des remous en interne. L'équipe travaillait dans une division spécialisées dans les composants alors que la division mobiles qui développait les produits Gear avait ses propres projets liés à la santé. Pourquoi cette concurrence interne déploraient-ils ?

L'équipe américaine du Simband fut finalement placée sous la tutelle de l'équipe mobiles. On lui demanda de remplacer Ubuntu qu'elle utilisait pour son Simband par Tizen. Une décision logique puisqu'il s'agissait du système d'exploitation officiel de Samsung, mais qui sapait quelque peu l'autonomie dont avaient profité ces ingénieurs.

À ces efforts de réécriture il fallait en ajouter d'autres de grande ampleur : construire le service dans le nuage pour stocker de manière sécurisée ces données et s'assurer que les produits du projet recevraient une homologation des autorités sanitaires américaines. Dès lors qu'ils étaient présentés comme d'une qualité apte à un usage en milieu médical, cette validation était obligatoire. Enfin, il était compliqué en l'état d'espérer fabriquer ces différents capteurs à grande échelle.

En novembre 2014, lors de la conférence des développeurs Samsung, ces travaux avaient bien avancé mais il n'en est sorti pas grand chose depuis. Entre temps, Apple avait dévoilé l'essentiel de sa montre et toute la dynamique qui avait porté le projet Simband a connu un coup de frein.

L'Apple Watch n'était pas un mauvais produit, ses capteurs étaient de très grande qualité et précis mais Samsung avait de toute évidence surestimé leurs possibilités et le danger qu'ils représentaient.

Sur un plan fonctionnel, l'Apple Watch n'en faisait pas plus que ses concurrents et Apple n'avait pas pris le risque de se frotter aux homologations de la Federal Drug Administration. Elle avait lancé un produit somme toute standard sur son positionnement purement santé.

Le projet Simband s'est passablement dégonflé à partir de ce moment là. Peut-être pas uniquement à cause d'Apple. Le fait qu'il s'agissait d'un effort de longue haleine, exigeant des investissements sur le long terme avant que Samsung puisse en recueillir les premiers bénéfices a pu jouer. L'équipe a connu des départs, Ram Fish par exemple quitta Samsung en septembre 2015.

Des prototypes furent placés dans un établissement hospitalier spécialisé en cardiologie mais sans qu'il en ressorte quoi que ce soit de consistant sur leur utilisation. Le site de Simband existe toujours, certains ingénieurs semblent y contribuer occasionnellement et un partenariat a été annoncé l'été dernier entre le Samsung Innovation and Strategy Center et Nestlé avec des expérience pilotes pour le début 2017.

Cependant l'avenir du Simband en tant que tel est flou. Samsung a toujours des ambitions dans la santé numérique, a assuré Francis Ho qui a été chargé il y a quelques semaines d'en superviser les travaux.

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