Jony Ive : aux origines de l'Apple Watch

Mickaël Bazoge |

Le développement de l'Apple Watch a débuté au début de l'année 2012, quelques mois après la disparition de Steve Jobs, se remémore Jony Ive dans une interview au long cours pour Hodinkee. « On avait dans nos poches des machines incroyablement puissantes, en termes de capacités techniques. Et il nous a semblé que la suite logique sur le chemin que nous parcourons depuis toutes ces années était de rendre la technologie plus personnelle et plus accessible », déroule-t-il.

L'Apple Watch Series 3 Edition avec boitier céramique blanc portée par Jony Ive.

Au sein du studio de design de Jony Ive, on s'est toujours intéressé aux montres mais uniquement « à un niveau personnel ». De ce qu'on en comprend, il n'y a pas de « culture de la montre » chez Apple, du moins pas avant l'Apple Watch. La première montre qu'Ive s'est offerte a été une Speedmaster d'Omega, achetée pendant un voyage à Kowloon (Hong Kong).

« Je ne prête pas attention à la relation qu'ont les montres avec la culture populaire, même si je sais que c'est très intéressant », explique-t-il : « Je m'intéresse plutôt à la distillation de l'artisanat, de l'ingéniosité, de la miniaturisation et de l'art de faire [nécessaire à la conception d'une montre] ».

Si Jony Ive porte une Apple Watch Edition (boitier céramique blanc), il regrette de ne pas avoir forcément l'opportunité de mettre à son poignet d'autres montres plus traditionnelles. Il éprouve une affection particulière pour la Nautilus de la maison Patek Philippe, un « objet bizarre », convient-il : « Plus vous la regardez, plus vous luttez pour comprendre sa géométrie ».

À droite, la Nautilus.

Jony Ive ne se préoccupe guère des chiffres de vente (en septembre dernier, Tim Cook avait annoncé que l'Apple Watch avait surpassé Rolex en termes de revenus). « J'ai beaucoup de respect pour les autres marques, comme Rolex et Omega, parce qu'il y a cette longévité remarquable combinée avec une compréhension évidente et claire de leur propre identité », souligne-t-il.

« Leurs produits témoignent de leur expertise, de leur confiance et de leur résolution. Leur qualité et leur constance sont à juste titre légendaires », conclut-il au sujet des marques de l'horlogerie traditionnelle.

Le temps du développement

La conception de l'Apple Watch a été différente des autres projets du constructeur. Cette fois, il a d'abord fallu « comprendre l'historique, faire preuve d'un grand respect et de déférence pour l'horlogerie ». « Parler à des personnes, en dehors de notre équipe, si tôt dans le développement d'un produit », voilà qui était inhabituel pour Apple.

Dans le détail, Apple a consulté sept spécialistes, des contributeurs à sa réflexion sur le produit à venir : Will Andrewes, un historien de l'horlogerie ; Jonathan Betts de l'Observatoire royal de Greenwich en Grande-Bretagne ; Dominique Fléchon, ex-historien de la Compagnie Financière Richemont et spécialiste de l'horlogerie ; Grégory Gardinetti, historien de la Fondation de la Haute Horlogerie de Genève ; Claudia Hammond, écrivaine ; Chris Mintott, astrophysicien à l'université d'Oxford ; David Rooney, conservateur du musée des sciences de Londres.

Marc Newson, le meilleur ami de Jony Ive, a rapidement rejoint le petit groupe (il travaille de manière plus formelle pour Apple depuis septembre 2014). Son travail sur les montres a eu une grande influence sur l'Apple Watch, en particulier sa Large Pod et l'Hemipode de Ikepod, dont les boucles rappellent le bracelet en fluoroélastomère de la montre d'Apple.

La Large Pod (1986) et l'Ikepod Hemipode (2006) avec leur système de fermeture

La couronne digitale est le fruit d'une réflexion d'Apple autour de l'horlogerie, et une référence claire à la tradition horlogère. Mais au-delà de l'hommage, il a fallu beaucoup de « courage » (un mot décidément à la mode chez Apple) pour comprendre que la couronne, second outil d'interaction après l'écran tactile devenu omniprésent, est une « solution fantastique pour naviguer et faire des choix. C'est aussi un "second bouton" sur l'appareil. Nous étions prédisposés à penser que la manipulation directe était une sorte de panacée ».

Il y avait cette envie de s'inscrire dans l'histoire de l'horlogerie, mais il y a aussi cette ambition de faire mieux, ou différent. Ainsi du bracelet Milanais : « Nous voulions faire un bracelet métallique qui ait des caractéristiques proches du tissu. Mais ce que nous n'aimions pas, c'était le mécanisme de fermeture, ces deux bouts de métal qui se ferment. Notre solution magnétique est si formidable, facile et personnelle ».

Jony Ive confirme également, en creux, que l'Apple Watch Edition en or 18 carats — un autre héritage de l'horlogerie traditionnelle — ne s'est pas particulièrement bien vendue. Cette collection, qui a rapidement troqué le métal précieux pour de la céramique plus abordable, permet surtout au constructeur de travailler des matériaux dont il n'a pas l'habitude.

S'il est une chose claire dès le départ avec l'Apple Watch, c'est que le constructeur a voulu en faire un produit orienté santé et bien-être. Le matériel et le logiciel ont été conçus de manière à former la « fondation de toutes les capacités santé » du produit.

Cette interview a aussi été publiée dans le numéro 2 du magazine Hodinkee.

À la question de savoir quel était le problème ou la question que l'Apple Watch est censée résoudre, Jony Ive reste volontiers dans un flou qui n'est pas sans rappeler celui entretenu par Apple lors du lancement de l'appareil : « Je ne pense pas [que l'Apple Watch résolve] un problème spécifiquement. C'était plus du ressort de l'optimisation, de l'opportunité ».

Le patron du design se fait volontiers sibyllin : « Vous pouvez regarder l'Apple Watch en termes de fonctionnalités, ou vous pouvez vous demander ce qu'il est possible [d'accomplir] si vous savez que vous avez cette technologie avec vous tout le temps ».

On n'a pas nécessairement son smartphone toujours avec soi. Une montre, par contre… « Imaginez que vous portez quelque chose d'aussi puissant [qu'un smartphone] tout le temps, et les opportunités qui peuvent alors se présenter à l'utilisateur ». Ive laisse la porte grande ouverte à l'imagination : « Les opportunités sont phénoménales. En particulier quand vous ne comprenez pas vraiment où nous en sommes aujourd'hui en termes de technologies et de capacités, et aussi où nous allons ».

Avec sa puce cellulaire, la Series 3 marque déjà une avancée conséquente par rapport aux générations précédentes. Les prochains modèles pourraient donc présenter encore plus de possibilités…

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