Les enseignements tirés sur Apple d'un ancien responsable de l'Apple Watch

Stéphane Moussie |

Pendant presque trois ans, Bob Messerschmidt a été à la tête de l'équipe chargée des capteurs de l'Apple Watch. Parce que la santé fait partie des principales caractéristiques de la montre, Messerschmidt a collaboré sur le projet avec d'autres équipes d'Apple, dont l'illustre Industrial Design Group de Jonathan Ive. Maintenant parti de Cupertino pour mener une nouvelle aventure, l'ingénieur revient sur son expérience en 8 « leçons » plus ou moins surprenantes publiées par Fast Company.

Bob Messerschmidt

Leçon 1 : « Comment travailler avec l'équipe de Jonathan Ive »

Bob Messerschmidt confirme ce que l'on savait déjà : l'Industrial Design Group est tout puissant au sein d'Apple. Il raconte qu'il a soutenu lors d'une réunion qu'il fallait placer les capteurs au niveau du bracelet pour obtenir des mesures plus précises. Refus catégorique de l'équipe d'Ive : « Ce n'est pas une tendance du design ni de la mode. Nous voulons proposer des bracelets interchangeables donc il ne doit pas y avoir de capteurs sur le bracelet. »

L'Industrial Design Group

À une réunion suivante, le responsable des capteurs a insisté pour que les bracelets serrent fermement le poignet afin que le cardiofréquencemètre fonctionne de manière optimale. La réponse de l'Industrial Design Group a été en substance que ce n'était pas la façon dont les gens portaient leur montre, qu'ils aimaient plutôt que le bracelet soit détendu.

Ces refus, Messerschmidt ne les a pas mal pris, bien au contraire : « Nous devions les écouter. [L'équipe d'Ive] est la voix des utilisateurs. [...] Je crois que cette priorité [donnée à l'utilisateur] se trouve uniquement chez Apple. » Il se dit également très satisfait du cardiofréquencemètre tel qu'il est aujourd'hui dans l'Apple Watch.

Leçon 2 : « Le plaisir plutôt que le nec plus ultra »

La deuxième leçon de Messerschmidt est un constat que l'on peut faire même sans participer aux réunions à Cupertino : Apple ne cherche pas à exploiter toutes les nouvelles technologies qui émergent, mais à mettre les technologies pertinentes au service de l'utilisateur. C'est pourquoi la firme ne s'est pas engagée dans la 3D quand elle était à la mode et reste toujours à l'écart de la réalité virtuelle.

Leçon 3 : « Tout est important, mais tout n'est pas égal »

Certains employés ont mal compris le perfectionnisme de Steve Jobs, estime l'entrepreneur. Ils veulent traiter toutes les choses sur le même pied d'égalité, or il en est qui sont plus importantes que d'autres et qui méritent donc qu'on s'y attarde plus longuement. C'est particulièrement le cas pour tout ce qui a trait à l'expérience utilisateur et le design, explique-t-il.

Leçon 4 : « Savoir dire "non" »

« Il y a des milliers de non pour chaque oui », disait la vidéo d'introduction de la WWDC 2013. Ce n'est pas seulement une jolie phrase, c'est bien ce qui se passe chez Apple, assure l'ancien responsable des capteurs de l'Apple Watch, au point que ça peut être frustrant pour les ingénieurs qui fourmillent d'idées. Mais il juge cela nécessaire : « C'est une des choses que j'ai apprises : savoir dire non jusqu'à ce que ce soit juste. »

Leçon 5 : « Apple va trop loin dans le secret »

Du temps de Steve Jobs, le secret était utilisé « pour créer une immense surprise lors des lancements de produits ». Maintenant, « il y a un groupe de personnes chez Apple qui veut le secret car cela l'aide à maintenir son empire, déclare Messerschmidt dans ce qui ressemble à une accusation voilée. Cela les aide à créer le sentiment qu'ils font des choses plus importantes qu'elles ne le sont vraiment. » Y a-t-il d'importantes guerres de pouvoir ? Cela pénalise-t-il le développement des produits ? L'homme n'en dit malheureusement pas plus à ce sujet...

Leçon 6 : « Les ingénieurs vs l'équipe marketing »

Chez Apple, les ingénieurs assurent que le marketing n'a aucun pouvoir... et les commerciaux certifient que les ingénieurs ne prennent pas les décisions. L'ancien cadre décrit une structure où les deux parties ne se parlent quasiment pas. Tout passe par l'équipe dirigeante (Schiller, Cue, Federighi...). Quand une idée est approuvée au plus haut niveau, des « ressources massives sont débloquées instantanément ».

Leçon 7 : « Apple a la même structure qu'une startup »

Messerschmidt note une autre particularité structurelle d'Apple : il n'y a qu'un seul service financier. Autrement dit, « personne ne doit se battre pour obtenir des ressources, tout le monde tape dans la même caisse, vraiment. »

Selon lui, demander un nouveau budget n'avait rien de sorcier, il suffisait de dire combien on voulait et on obtenait une réponse. Le budget était en partie calculé en fonction du nombre de personnes que l'on pouvait ajouter à son équipe. « Une startup a la même structure. [Pour une entreprise comme Apple], c'est en contradiction avec ce que l'on apprend à l'école, mais ça marche. »

Leçon 8 : « Vous ne pouvez pas encapsuler Jobs »

Enfin, l'ancien responsable des capteurs de la montre estime que des personnes ont essayé « d'embouteiller » l'esprit de Steve Jobs pour ensuite le « distiller » aux futurs dirigeants d'Apple. Il juge cela comme une erreur car « il ne s'agit pas de quelque chose que l'on peut enseigner. » Visiblement nostalgique de Jobs (c'est lui qui l'a fait entrer chez Apple en acquérant sa startup en 2010), il conclut qu'Apple « n'est définitivement plus le même endroit » sans son cofondateur.

Messerschmidt est maintenant à la tête de Cor, une startup qui va lancer un appareil de suivi de la santé tirant les informations d'une goutte de sang de l'utilisateur.

Accédez aux commentaires de l'article