Il y a 22 ans, Apple inventait sa réalité virtuelle

Florian Innocente |

Apple est aujourd’hui absente de l’effervescence qui agite le secteur de la réalité virtuelle. Il ne faut cependant rien présager de l’avenir, car qui sait ce qui se trame en coulisses, il est intéressant de se souvenir que la Pomme avait bien défriché le chemin au siècle dernier..

Business Insider a discuté avec Dan O’Sullivan, l’un des artisans de QuickTime VR. Une technologie dont le principe est devenu tellement banal aujourd’hui qu’un simple smartphone peut produire le même résultat voire beaucoup mieux, mais qui était novatrice à l’époque.

C’est durant sa conférence développeurs de l’été 1994 qu’Apple a fait la première démonstration publique de QuickTime VR (extrait 1 et extrait 2) avant un lancement l’année suivante. Elle consistait en un savant assemblage de photos qui permettait de produire une scène panoramique à 360°. Comme si l’on se trouvait à l’intérieur d’un cylindre dont on regardait la paroi, on pouvait zoomer dans l’image mais pas encore regarder en l’air. Cela marchait aussi pour tourner autour d’un objet.

Il s’agissait de scènes précalculées et il n’y avait pas d’immersion comme en propose la VR aujourd’hui. Les outils d’acquisition numérique n’étaient pas très nombreux, c’était le plus souvent un simple appareil photo. On était loin des dispositifs actuel avec plusieurs caméras numériques capables de saisir une scène simultanément sous tous les angles.

Dan O’Sullivan, l’un des créateurs de QTVR, était stagiaire chez Apple lorsque ce chantier était en cours. Il avait été recruté par Mike Mills, à l’origine de QuickTime. QTVR faisait partie de ces projets de recherche avancés menés dans le secret des labos d’Apple (L’Advanced Technology Group).

Les premiers résultats furent suffisamment probants pour que ce développement soit encouragé par la direction de l’entreprise. « Je me souviens lorsque Sally Ride — l’une des membres du conseil d’administration d’Apple — n’arrivait pas à croire qu’elle était en train de manipuler un objet 3D en temps réel » se souvient John Sculley, le patron d’Apple pendant cette période.

Ce soutien passa notamment par l’acquisition d’un Cray, les supercalculateurs d’alors, pour accélérer ce tricotage des images. Plus tard, Apple lancera QuickTime VR Authoring Studio [pdf], un logiciel auteur permettant à des photographes et créatifs de tout poil de créer facilement des VR à partir de photos et de vidéos, et en utilisant un simple Power Mac. Pendant son développement, QuickTime VR s’appuyait sur le vénérable HyperCard pour la confection de ces scènes.

Apple n’hésita pas à sortir les grands moyens pour mettre au point QuickTime VR. Elle demanda l’autorisation d’aller prendre des photos au sommet du Golden Gate Bridge. Une équipe se rendit à Paris en 1992 pour fabriquer 20 panoramas dans la capitale. L’année précédente, par le biais d’un jeu de connaissances, elle obtint l’autorisation d’aller en Russie pour concevoir la visite en VR d’un musée de Saint-Pétersbourg.

Quelques lieux parisiens réalisés en 1992 avec un prototype de QuickTime VR

L’actualité se chargea également de faire la publicité pour cette technologie. Lors du méga procès d’O.J Simpson — accusé du meurtre de son épouse et d’un ami — la chaine NBC fit une reconstitution des lieux. 26 emplacements de l’appartement furent photographiés et transformés en scènes panoramiques, notamment la fameuse allée complètement maculée de sang. Elles permettaient au journaliste sur le plateau du journal télévisé de donner un autre point de vue sur la scène de crimes à ses téléspectateurs. Pour ce faire, Apple fournit une préversion de QuickTime VR à la chaine.

« QuickTime VR était en quelque sorte la réalité virtuelle du pauvre » explique Dan O’Sullivan « Et c’est intéressant encore aujourd’hui de voir qu’il y a ces deux tendances dans la VR. Il y a la VR photographique avec des vidéos à 360° et cette autre VR, plus interactive ».

QuickTime VR a progressivement disparu chez Apple, notamment après le retour de Steve Jobs. La technologie fut encore utilisée ponctuellement pour montrer certains de ses nouveaux produits à 360°. Il faut dire aussi qu’il était devenu facile de faire des VR (avec Flash ou Java) et que la valeur ajoutée des techniques d’Apple dans le domaine n’était plus aussi importante qu’au début. QuickTime VR permettait d'explorer quelques endroits, Google Street View a appliqué ce principe à la planète entière.

QuickTime VR appartient à l’époque de John Sculley, et Apple ne prête plus guère attention à ce qui s’est passé avant le retour de Jobs, constate pour sa part O’Sullivan. Pour Sculley, QuickTime et QuickTime VR étaient une bonne illustration de cet intérêt d’Apple pour les expériences utilisateur « Même aujourd’hui Apple n’est pas à la pointe pour tout ce qui est traitement des données comme en font Google ou Facebook, mais elle domine en termes d’expériences utilisateur ».

Il reste à voir si un jour elle appliquera à nouveau cette compétence d’une manière originale, en signant son retour dans la réalité virtuelle. Ou au travers d’un autre projet, comme celui de l’automobile, où le rapport entre l’homme et la machine est absolument crucial, plus encore que sur un téléphone ou devant un ordinateur.

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