Frédérique Constant redoute que les fonctions santé de l'Apple Watch ne nuisent aux montres suisses

Florian Innocente |

Il ne sert à rien de faire l'autruche et d'espérer que la flamme des montres connectées finira par s'éteindre et ne plus repartir. C'est en substance le message qu'adresse à ses homologues, Peter Stas, le patron fondateur de la marque Frédérique Constant.

Dans un billet de blog puis dans un entretien à Hodinkee il avance que l'industrie horlogère suisse n'a toujours pas suffisamment pris la mesure de la menace que représentent l'Apple Watch et ses cousines connectées.

L'un des modèles de la collection Hybrid Manufacture qui associe mouvement mécanique et partie électronique

Il fonde ses remarques sur l'évolution du chiffre d'affaires de son activité, qui comprend maintenant des modèles hybrides. Ainsi qu'à la lecture de projections établies le mois dernier par le cabinet Juniper Research. Celui-ci tablait sur 80 millions de ventes de montres hybrides en 2022 contre 14 millions en 2017.

Ce marché de la montre connectée se partagerait alors à égalité entre des modèles mélangeant mouvement mécanique et électronique et les tactiles type Apple Watch. Les premières verraient leurs ventes augmenter de 460 % et les secondes de 160 %.

L'Apple Watch a déjà fait du mal au segment des montres à quartz de milieu de gamme, celles qui démarrent à plusieurs centaines d'euros :

Je pense que l'industrie horlogère suisse ne comprend toujours pas à quel point la montre d'Apple et d'autres montres intelligentes ont mordu dans les chiffres, en particulier ceux des mouvements à quartz [3 millions d'unités vendues en moins depuis 2015 par les maisons horlogères suisses, soit -16 %, ndlr]. L'Apple Watch Series 3 est le dernier stade en date d'une évolution qui passe des notifications et du fitness à celle de la santé. Je pense que c'est là que nous allons commencer à voir les véritables avantages de la montre intelligente et une fois de plus Apple a pris les devants.

Le volume des exportations de montres à Quartz chez les fabricants suisses (en millions d'unités)

Il suffirait qu'Apple fasse bouger la forme de l'écran (le tout carré n'est pas toujours apprécié chez les hommes) et que celui-ci puisse afficher l'heure en permanence et ce serait un autre mauvais coup de porté « L'industrie horlogère suisse irait aux devants de problèmes. Je dis très franchement que beaucoup de mes collègues dans le milieu ne comprennent pas ce qui est en train de se passer ».

Les fabricants Suisses ont écoulé 25,5 millions de montres en 2017, d'après les données officielles. En face de cela, IDC a calculé que 33,3 millions de montres connectées avaient été vendues la même année, dont a priori, 17 à 18 millions par Apple.

Les travaux d'Apple autour de fonctions santé plus évoluées inquiètent le patron de Frédérique Constant, il fait notamment référence au programme pilote lancé il y a quelques mois pour prévenir d'un emballement cardiaque par la mesure de la fréquence cardiaque.

La fonction santé, si elle est évoluée et utile au quotidien pour l'utilisateur, sera à même de rendre ce type de montres plus indispensables encore et de fidéliser les clients auprès de la marque qui leur offrira le meilleur service.

Nous [en Suisse] ferions bien d'être très, très prudents. Apple en sait beaucoup plus que nous, et je vois très clairement ce qu'ils préparent. Ils vont aller de plus en plus dans cette direction, en trouvant des moyens pour informer les gens de leur état médical. Et ils sauront le faire de mieux en mieux.

Ces mises en garde de Peter Stas s'appuient sur l'observation de ses propres ventes, depuis deux ans que la marque a lancé des modèles dotés de capteurs pour la marche, pour le suivi du sommeil, etc.

La famille Horological

Ce sont des montres qui se vendent au minimum quelques centaines d'euros et qui peuvent allègrement dépasser les 3 000 €. Frédérique Constant a vendu 150 000 exemplaires de ses montres hybrides, cette famille pèse pour 14% de son chiffre d'affaires et 12 % de ses ventes. C'est nullement anecdotique, d'ailleurs la marque s'attend à ce que cela grimpe à 20 voire 30 %.

Surprise, la tranche d'âge qui s'y est intéressée le plus n'était pas celle envisagée.

Nous pensions que les montres intelligentes étaient achetées par les trentenaires, mais en fait non. Elles le sont surtout par les gens de 50 à 60 ans, du moins dans notre segment qui est celui des modèles plus chers. Et c'est logique, puisque les personnes plus âgées sont plus soucieuses de leur santé.

D'où cette crainte initiale qu'Apple prenne une avance difficilement rattrapable dans ce domaine des montres qui deviennent de véritables assistants et coach santé. Il est aussi à redouter que si ces montres type Apple Watch séduisent une clientèle plus jeune (ou qui ne portait pas voire plus de montre) il soit difficile plus tard de les faire changer.

Le prix n'est pas le facteur déterminant, assure le PDG (le modèle connecté qui se vend le mieux coûte 1 290 €). Il y a en premier lieu le design, puis vient la capacité de récupérer et de traiter des données santé. Enfin seulement, vient la question du tarif : « C'est important mais ce n'est pas le facteur déterminant. Même si elle est un peu plus chère, dès l'instant qu'elle a belle allure, c'est ok. »

Plusieurs marques importantes, de Vuitton à Montblanc en passant par TAG Heuer ou Mondaine, ont inscrit des montres connectées à leur catalogue, mais il ne faut pas relâcher l'effort, insiste Peter Stas : « Cette chute de 3 millions [d'unités dans les ventes de montres quartz] est en partie due à la vague des montres connectées. Ça ne va pas disparaître. J'entends toujours des gens dire : "C'est quelque chose de temporaire". Je ne crois pas. Je crois que lorsque vous apportez plus d'informations sur la santé, lorsque les applications s'améliorent constamment, ça ne fait qu'accélérer le problème ».

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