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ARKit : la pub va augmenter votre réalité

Florian Innocente

mercredi 29 novembre 2017 à 21:00 • 10

Réalité augmentée

Avec iOS 11, Apple a mis entre les mains des développeurs et des créatifs ARKit, une boite à outils pour fabriquer plus simplement des expériences de réalité augmentée dans les apps. Les agences de communication sont parmi les premières à s'en saisir.

Dans les mois à venir, il y a quelques chances pour que des marques, entreprises ou institutions exploitent cette technologie dans leurs apps mobiles. C'est ce que laissent entendre deux responsables d'agences que nous avons interrogés. Tous les feux sont au vert, disent-ils, pour que cette manière de communiquer touche enfin un plus large public.

« C'est un jour dont on se souviendra, c'est un jour à marquer d'une pierre blanche », déclarait Tim Cook sur le plateau de l'émission Good Morning America, en septembre dernier. Il ne parlait pas du nouvel iPhone X, mais de cette réalité augmentée qu'il ne cessait d'évoquer depuis plus d'un an sans donner d'exemples concrets de ce qu'Apple avait dans ses cartons.

La réalité augmentée à Apple Park Cliquer pour agrandir

Aujourd'hui, grâce à la compatibilité assez large d'iOS 11, les apps qui se reposent sur ARKit pour incruster des personnages, des objets et des décors à l'intérieur d'un environnement réel peuvent immédiatement fonctionner sur des dizaines et des dizaines de millions d'iPhone et d'iPad. Pour les développeurs et les créateurs de contenus c'est un énorme obstacle qui est levé : Apple leur offre à la fois un outil intégré à son système et une impressionnante base d'utilisateurs qui n'a rien d'autre à faire que lancer ces apps et viser le sol pour faire surgir des contenus de synthèse imbriqués dans leur environnement immédiat.

Avant ARKit, l'agence lilloise DAD avait déjà à son actif des campagnes publicitaires qui exploitaient ce mélange de réel et d'artificiel. Ça pouvait être la simulation d'un nouvel élément de décoration dans une pièce, l'aspect d'un vernis à ongles virtuel sur la main ou encore une pochette d'album de musique qui s'anime derrière un écran pour livrer des contenus inédits.

Au départ, l'utilisation de la réalité augmentée était quelque peu confidentielle et modérément tournée vers le grand public, raconte Marc-Antoine Redien, le cofondateur de DAD :

C'était utile pour le B2B, pour résoudre des problématiques très identifiées pour un public très ciblé : lancement d'un produit technique, tablettes pour les commerciaux qui peuvent en faire la démonstration aux revendeurs, par exemple.

En 2015, l'agence avait créé une app qui fonctionnait en lien avec la pochette du dernier album de Lara Fabian et pouvait afficher des contenus supplémentaires : « Ça marche car c'est un public captif, qui a acheté un support physique et qui va obtenir un bonus gratuit en rapport avec leur artiste ». Dans d'autres cas les développements réalisés étaient restés au stade du proof of concept (la démonstration d'une idée) ou bien étaient « des tests, soit à petite échelle, soit déployés (comme pour la marque de produits de beauté Nocibé, ndlr) mais sur un seul coup. Il n'y avait pas de continuité ».

Un changement est néanmoins perceptible, observe Marc-Antoine Redien. De plus en plus de ses clients envisagent la réalité augmentée comme « un vecteur intéressant pour passer un message et pas uniquement un outil purement techno ». La réalité augmentée ne serait plus une fin en soi, comme une sorte de preuve d'avant-gardisme de la part d'un annonceur, mais un vrai support de communication en parallèle à d'autres plus classiques.

« La réalité augmentée offre d'innombrables possibilités pour les marques, et ARKit est définitivement un tournant pour l'adoption massive de cette technologie », s'enthousiasme Vincent Vella, cofondateur et directeur de la création de Nedd, une agence basée à Paris et Montpellier.

Nedd s'était fait remarquer juste après la WWDC avec une démo dans laquelle figurait un portail en 3D, posé au milieu d'une véritable rue et ouvrant sur une autre "dimension" contenant une temple et une jungle. « Apple nous a contacté très rapidement et a utilisé de nombreuses fois notre portail pour faire la démonstration du potentiel d’ARKit, notamment lors du SIGGRAPH de Los Angeles fin juillet » (un grand salon spécialisé dans l'infographie et la 3D).

ARKit va tout changer, estime sans détours Vincent Vella : « Tout d'abord parce que le parc d'iPhone et d'iPad compatibles avec les apps ARKit est colossal : on parle de 200 à 300 millions de devices à horizon début 2018 ». Ensuite elle simplifie le processus de création et de mise au point des contenus :

Là où les technologies précédentes nécessitaient d’intégrer des capteurs ou des trackers visuels dans les expériences — ce qui les rendaient complexes à utiliser pour le grand public — celle d’Apple n’a besoin que du capteur photo et des capteurs de mouvements déjà présents dans ses smartphones. Ça change tout. Et puisque les marques souhaitent proposer des expériences pour les audiences plus larges possibles, ARKit est parfaitement adapté pour elles.

Marc-Antoine Redien abonde : « Ça fonctionne à partir du 6s et franchement c'est une vraie révolution pour les usages. Non, Apple n'a pas inventé l'AR comme ils aimeraient le faire penser, mais avoir acheté Metaio il y a quelques années leur donne un SDK magnifique, avec de nouveaux usages inédits : pas de tracker, ça colle bien, et aussi une échelle réelle qui est assez fiable » (la capacité à ce que l'objet ou le personnage ait une taille proportionnelle à l'environnement réel). Son unique regret à ce stade concerne l'absence de reconnaissance des plans verticaux, pour gérer les murs. Dans la première mouture d'ARKit il faut toujours pointer le sol pour poser son objet 3D.

Le résultat du travail d'Apple, poursuit Marc-Antoine Redien, est que les fondations deviennent solides pour vraiment construire quelque chose avec la réalité augmentée : « On dépasse doucement la vulgarisation. C'est encore confidentiel, mais beaucoup de projets avec de grandes marques sont en cours. Tout n'est pas signé mais les demandes sont là. 2018 va normalement changer la donne. 2017 était la transition. Avant, c'était trop tôt ».

Chez Nedd, Vincent Vella dit avoir été contacté par de nombreuses marques étrangères, en particulier américaines, dès juillet. En Europe et en France ça n'a vraiment commencé qu'à la rentrée avec l'arrivée d'iOS 11. Actuellement des prototypes sont créés, il y a une phase nécessaire de pédagogie auprès des clients qui précède toute discussion plus avancée, mais les choses bougent : « Aujourd’hui, nous avons plusieurs projets assez ambitieux en cours de production, qui sortiront début 2018. ».

La réalité augmentée partout

À en croire Vincent Vella, rares sont les domaines d'activité qui ne trouveront pas un usage à la réalité augmentée :

Les secteurs du design, de la déco, mais aussi de l’immobilier du neuf ont tout de suite vu un usage évident de cette techno. Mais tous les secteurs s’y intéressent : nous sommes interrogés par des marques de service, de retail, de grande conso, dans le luxe, la culture, mais aussi des ONG… Pour toucher le grand public, mais aussi parfois pour faire du BtoB ou de la formation.

Le partenariat entre Apple et IKEA avec l'app Place — même s'il n'a pas été mis en avant au-delà d'une petite opération de présentation auprès de quelques médias — a montré un usage clair, concret et immédiatement compréhensible par le grand public de l'apport possible de la réalité augmentée.

Amazon s'est glissé dans la traine de l'enseigne suédoise et a doté aussi son app iPhone d'une fonction de réalité augmentée, avec sa propre techno « ARView » pour voir « en vrai » des objets que l'on voudrait acheter (basculez l'app en version américaine dans ses réglages pour tester cette option avec l'appareil photo intégré).

Autre exemple, une opération a eu lieu dans quelques magasins américains pour préparer la sortie du prochain Star Wars. Des kakémono représentant des personnages du film comportaient un petit symbole à viser pour faire apparaître devant soi le personnage en 3D. Apple en fait usage dans son Visitor Center : en balayant avec l'écran de l'iPad une grande maquette de son campus, l'utilisateur en obtient une vue photoréaliste, correspondant à la réalité du lieu.

Une agence d'architecture ou un promoteur immobilier peuvent maintenant emmener leurs clients sur un terrain encore en friche et leur donner un aperçu assez fidèle de la maison ou de l'immeuble qui s'élèveront à cet endroit.

L'agence DAD a dans son portfolio de proof of concept un exemple conçu il y a déjà quatre ans, où un enfant peut jouer avec la version 3D du personnage qui orne son paquet de céréales. Une version plus contemporaine des figurines en plastique distribuées encore aujourd'hui et un exemple presque évident d'une utilisation de la réalité augmentée. Un principe qui peut se décliner quasiment à l'infini pour toutes sortes de marques.

Vincent Vella a entrepris de catégoriser les cas de figure pertinents pour utiliser la réalité augmentée, il en dénombre six dans tous les secteurs : « Brand content (contenu associé à une marque, ndlr), Showrooming (évaluer un produit directement chez soi, ndlr), Expérience Client, Simulation / Maintenance, Aide à la vente et Formation. Et bien sûr pour certains projets, les typologies peuvent se croiser ».

Cette montée en puissance de la réalité augmentée peut s'avérer un défi pour ces agences en matière de compétences. « La plupart d’entre elles vont avoir du mal à utiliser cette technologie à son plein potentiel », prévient le cofondateur de Nedd : « Pour proposer des expériences en réalité augmentée vraiment pertinentes et innovantes, il faut avoir à la fois de fortes compétences en UX design et des équipes de production assez pointues en 3D mais aussi en développement, deux choses que les agences de pub ont peu voire pas du tout ».

C'est d'autant plus compliqué pour ceux qui vont être à la manœuvre pour fabriquer ces contenus qu'il n'y a pas qu'ARKit en lice. Après Apple, Google a annoncé à la fin août sa propre solution, ARCore, basée sur son précédent projet Tango (lire Le projet Tango de Google joue sa dernière carte avec le ZenFone AR). ARCore est en bêta et ne marche pour le moment que sur les Pixel à la part de marché confidentielle et les Galaxy S8.

Google espère rapidement monter en puissance sur le nombre de terminaux compatibles, mais il se posera immanquablement le problème de la fragmentation du parc existant. Pokémon GO avait mis en évidence des disparités entre des terminaux équipés d'un gyroscope et d'autres, à bas prix, qui étaient dépourvus de ce composant banal et qui équipe n'importe quel iPhone même ancien.

À l'agence DAD, Marc-Antoine Redien se montre toutefois optimiste devant les efforts du concurrent d'Apple : « L'ARCore de Google s'en sort pas si mal au final. Avec son Tango remanié en vitesse, ça va dans le bon sens ». Chez Nedd, ARCore est déjà utilisé pour créer des choses équivalentes à celles faites avec ARKit. Apple conserve toutefois un avantage dès que l'on parle de cette homogénéité du parc matériel. La force d’Apple c'est son « environnement beaucoup plus contrôlé », rappelle Vincent Vella :

Le parc de devices Android regroupe des smartphones aux capacités très variables, ce qui fait qu’une expérience en réalité augmentée pourra très bien fonctionner sur un appareil qui a deux ans chez tel constructeur, mais pas sur un appareil récent d’une marque plus low-cost. Chez Apple les expériences fonctionnent très bien à partir de l’iPhone 6s.

On parle d'Apple et de Google mais il faudrait citer aussi Snapchat qui a été un précurseur avec ses filtres appliqués dynamiquement aux visages ("Lenses") puis dans l'environnement ("World lenses"). Puis Facebook qui a de nouveau copié son adversaire en lançant le développement de Studio AR, un atelier de création pour des contenus en réalité augmentée qui ne marcheront que sur sa plateforme.

L'attente commence

À voir les initiatives des uns et des autres et à écouter ceux qui vont créer ces contenus, l'année qui vient pourrait être l'occasion de transformer l'essai réussi de Pokémon GO. À la suite de la sortie d'ARKit on a vu tout au long de l'été dernier des dizaines de petites démos sympathiques. Et puis le soufflé est comme retombé d'un coup.

À en croire les deux responsables de Nedd et DAD, cette période de calme ne devrait pas durer. Les développements d'Amazon et d'IKEA montrent que de grands groupes ont les moyens et la légitimité pour se saisir de cette technologie et la rendre pertinente au quotidien, pas uniquement pour épater l'utilisateur pendant quelques minutes.

Mais pour que ces usages s'installent dans la durée il reste des progrès à accomplir. Comme d'augmenter régulièrement le catalogue d'objets modélisés afin que le réflexe de vouloir utiliser la fonction de réalité augmentée soit payé de retour.

La mise à jour hier d'IKEA Place contient des sapins de noël vendus en magasins

Il faut aussi améliorer l'aspect de ces objets. Aujourd'hui ils peuvent être sommaires dans leurs textures et rendus. En 2017, avec les performances offertes par les puces graphiques des smartphones on est en droit de s'attendre à beaucoup mieux.

La réalité augmentée dans l'app d'Amazon Cliquer pour agrandir
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Tim Cook lui même, pèlerin en chef de la réalité augmentée sur mobiles, concédait récemment que la technologie devait mûrir pour concurrencer l'expérience offerte par un véritable magasin où l'on peut essayer les articles, c'est encore plus vrai pour l'habillement et la mode (lire Tim Cook : la réalité augmentée va devenir essentielle dans le commerce).

Il y a les enseignes "à catalogues" où la manière d'exploiter la réalité augmentée coule de source. Puis il y a toutes les autres, celles répondant aux typologies définies par Vincent Vella, où il s'agira de faire preuve d'originalité et d'inventivité pour ne pas reproduire ad nauseam la même expérience ou interaction.

Ces tout prochains mois la réalité augmentée a des chances d'être cuisinée à toutes les sauces, bonnes comme mauvaises. Jusqu'à ce que, peut-être, quelques idées et usages s'installent durablement. Google a connu cela avec ses lunettes qui ont fini cahin-caha par trouver leur public dans l'industrie (lire Google recolle les morceaux de Glass pour les entreprises).

C'est le défi que vont devoir relever les marques et leurs agences : dépasser la simple démonstration technologique — dont l'effet de nouveauté ne durera qu'un temps et se banalisera très vite — pour déceler voire inventer des usages pertinents qui s'inscriront dans le quotidien des utilisateurs.

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