Les actus sur la réalité augmentée que nous publions sur WatchGeneration comptent parmi les moins lues et les moins commentées. Il n'y a guère que les jeux vidéo qui suscitent encore moins d'intérêt (et on le regrette). Pourtant, dans quelques mois, Apple devrait lancer son premier casque de réalité mixte : pourquoi cela n'intéresse personne ?
Ce n'est pas tous les jours qu'Apple se lance dans une nouvelle catégorie de produits. L'effervescence avant le lancement de l'iPad et, plus récemment, de l'Apple Watch, a pourtant marqué les esprits et permis à ces produits de s'installer rapidement en tête des ventes sur leurs marchés respectifs.
À quelques mois — peut-être, qui le sait vraiment ? — de la présentation par Apple de son casque de réalité possiblement mixte (réalité augmentée + réalité virtuelle), c'est morne plaine. Les rumeurs ne manquent pourtant pas mais rien à faire, ce projet fait au mieux hausser les épaules. Mais alors, bon sang de bois, pourquoi est-ce que cet appareil n'arrive pas à passionner les foules ?
Parce que Tim Cook
Tim Cook est certainement un excellent directeur des opérations et un chef d'orchestre de grand talent à la tête d'Apple… mais c'est vrai qu'il n'est pas spécialement inspirant. On ne doute pas de son intérêt pour la réalité augmentée, mais son discours convenu servi à longueur d'interviews a fini par vider de sa substance tout enthousiasme autour de ce projet. À tel point que sa passion pour la réalité augmentée paraît désormais complètement dévitalisée.
Le pire en la matière a probablement été la déclaration donnée au New York Times en avril 2021, durant laquelle il a présenté une vision vraiment plan-plan et basique de la réalité augmentée : avec cette technologie, a t-il dit, on va pouvoir égayer les conversations « avec des graphiques ou d'autres choses qui pourraient apparaitre ».
En août de la même année, Tim Cook est revenu à la charge en décrivant un graphique que l'on pourrait manipuler avec les mains pendant une discussion en ligne.
Autrement dit : Numbers en réalité augmentée. Super.
Pour être tout à fait honnête, le patron d'Apple a aussi expliqué que la réalité augmentée avait toute sa place dans les secteurs de l'éducation, du jeu vidéo, de la vente au détail, de la santé… Mais en restant toujours très vague sur les bienfaits attendus. Tellement vague que ces déclarations n'évoquent rien de très concret ni d'excitant.
Et même lorsqu'il sort un tout petit peu des clous d'une communication surmaîtrisée, c'est l'encéphalogramme plat : « Vous allez voir ce que nous avons à vous proposer », a-t-il ainsi récemment annoncé dans une émission chinoise.
Ce n'est pas grand-chose, mais c'est la confirmation — s'il en fallait une — qu'Apple prépare quelque chose dans ce domaine. Pourtant, cette déclaration n'a pas provoqué un torrent de spéculations, en dehors de sa reprise sur les sites internet intéressés par l'actualité d'Apple. On est loin du tsunami de réactions que suscitaient, à l'époque, la moindre indiscrétion sur la tablette ou la montre connectée avant leurs lancements.
Pourrait-il en être autrement ? Au vu des enjeux, cela parait difficile : si Tim Cook en dit trop, il prend le risque de gâcher la surprise et il ne fait aucun doute qu'Apple veut marquer le coup. S'il n'en dit pas assez, il ne provoque pas l'emballement indispensable à l'adoption d'une technologie qu'Apple a le plus grand mal à imposer dans ses smartphones.
C'est que l'enthousiasme initial autour des apps de réalité augmentée est retombé comme un soufflé. ARKit, dont la première version a été lancée en 2017 avec iOS 11, a permis de créer toutes sortes d'expériences (14 000 apps, selon le dernier pointage de Tim Cook), mais elles souffrent toutes d'un mal fondamental : porter l'iPhone, ou pire l'iPad, à bout de bras finit rapidement par fatiguer.
La logique aurait été qu'Apple lance rapidement un nouvel appareil pour profiter au mieux de cette technologie. Si le casque était sorti en 2019 ou en 2020, il aurait pu éventuellement surfer sur l'engouement des développeurs pour ARKit.
Le projet de casque de réalité augmentée serait en développement depuis 2015, et visiblement Apple a pris beaucoup de retard dans ce projet. Jony Ive en particulier aurait refusé la proposition d'un appareil très puissant, obligeant l'équipe à remettre son ouvrage sur le métier, repoussant d'autant le lancement de l'appareil.
Les embûches de l'équipe chargée du développement du casque de réalité augmentée d'Apple
Parce que la vision
Avant le lancement de l'iPad en 2010, une tablette avait du sens, on savait instinctivement à quoi un tel appareil pourrait servir — même si à l'époque, beaucoup imaginaient simplement « un grand iPhone ». L'iPad a su s'affranchir petit à petit de cet écueil même si le cordon n'est pas encore tout à fait coupé.
Avant le lancement de l'Apple Watch en 2015, on pouvait imaginer assez facilement à quoi allait servir une montre connectée. Tout comme pour l'iPad, Apple n'était pas précurseur, d'autres tablettes et montres connectées avaient labouré le terrain. Il en va de même pour les casques de réalité augmentée et virtuelle, mais les exemples donnés par les produits existants ne sont pas spécialement emballants.
En dehors des usages « naturels » comme la vidéo immersive (Apple aurait passé commande de contenus auprès de studios hollywoodiens) et dans le jeu vidéo1, ce qui représente déjà de sacrés marchés mine de rien, les propositions de Meta ou de Microsoft n'ont en effet rien de franchement folichon.
Difficile de se projeter dans un avenir où les réunions se déroulent entre avatars. Une autre idée qui revient souvent, c'est de travailler dans un bureau virtuel, mais y est-on réellement plus efficace et productif que dans la vraie vie ? Quant aux belles images de Meta qui font miroiter la fusion entre la réalité et le virtuel, la technique n'est pas encore au point.
Ce qui ne veut pas dire que le monde du travail ne soit pas soluble dans le métavers, au contraire. Mais pourquoi répliquer dans le monde virtuel ce qui est pénible dans le monde réel ? Il y a un petit côté double peine… C'est plus facile à dire et à écrire qu'à faire, je le sais bien, mais puisqu'on est libéré des chaînes de la réalité, il devrait être possible de réinventer le travail plutôt que de le dupliquer bêtement.
La réalité augmentée a trouvé un marchepied dans l'entreprise, investie par les pionniers après le flop de leurs produits grand public : Google Glass ou encore Magic Leap. Ce sont des utilisations pointues et adaptées à ces métiers. Mais est-ce le marché visé par Apple ?
Ce problème de vision globale de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle n'est pas propre à Apple. L'industrie dans son ensemble tâtonne, ou invente des solutions à des problèmes qui n'existent pas. Dans le genre, il faut avoir la foi du charbonnier ou s'appeler Mark Zuckerberg pour croire dans le métavers au vu des avancées techniques actuelles, encore insuffisantes pour donner corps à ce projet fou. Ou tout simplement dans le concept même qui peut ne pas emballer.
Toutefois, on ne peut pas en vouloir aux acteurs du secteur technologique d'investir dans de nouvelles voies. Après tout, qui sait ce que nous réserve l'avenir ?
Si l'iPad a été un succès immédiat, pour l'Apple Watch ça a été plus long à se mettre en place et pour cause, il y avait manifestement un problème de vision stratégique : Apple voulait embrasser trop de fonctionnalités. En se recentrant sur le suivi de la santé et des activités sportives, l'Apple Watch a trouvé sa voie.
L'absence de vision pour un produit peut devenir un obstacle rapidement difficile à surmonter. L'Apple Watch s'en est sortie, mais le HomePod se traine ce problème comme un boulet. Présenté à la fois comme une enceinte et un assistant connecté, l'appareil ne fait très bien ni vraiment l'un (pas d'entrée audio, pas de diffusion Bluetooth), ni vraiment l'autre (Siri 🙄). Apple a tenté quelque chose d'un peu différent avec le HomePod mini, mais il est difficile de concurrencer les enceintes connectées à 50 € de Google ou d'Amazon.
Autant dire qu'Apple va devoir dérouler un argumentaire commercial aux petits oignons pour son casque de réalité mixte, qui devra par ailleurs justifier un prix qu'on annonce stratosphérique. Et ce n'est pas le seul problème qui va se poser.
Parce que l'appareil
C'est amusant de frissonner sur Resident Evil avec le casque PlayStation VR enfoncé sur la tête, ou encore de sentir poindre le mal de crâne (façon de parler) en regardant une série Netflix dans le théâtre virtuel de l'Oculus du Meta Quest 2. Mais vivre sa vie numérique, travailler ou encore assister à des réunions en portant un casque toute la journée ? Urgh.
On ne doute pas qu'Apple va faire le maximum pour proposer un produit au design qui tranchera avec les appareils actuels type Quest 2, mais un casque reste un casque et on imagine mal porter au quotidien un tel appareil devant ses yeux pendant plusieurs heures d'affilée. Le casque de Meta pèse un peu plus de 500 grammes, ça pèse au bout d'un moment sur le nez.
Meta, dont l'avenir est intrinsèquement lié au métavers (c'est dans son nom, après tout), a tout intérêt à démocratiser la réalité virtuelle. Et il faut reconnaitre que le Quest 2 est un appareil qui ne manque pas d'intérêt avec son prix de 349 €. Ce rapport qualité/prix et le contenu disponible expliquent le succès commercial de l'appareil, qui s'est retrouvé sous bien des sapins à Noël dernier.
L'Oculus Quest 2, un prototype du casque VR/AR d'Apple ?
L'avenir à moyen terme (avant les lentilles de contact connectées ?), ce sont les lunettes qui permettront de profiter de manière transparente et socialement acceptable des expériences de réalité augmentée. Mais comme l'a montré Meta il y a quelques jours, l'industrie est encore très loin d'avoir réussi la miniaturisation indispensable pour un dispositif léger et discret.
AR/VR : Meta ouvre ses placards au grand public et dévoile une vingtaine de prototypes de casques
En mai dernier, Evan Spiegel le fondateur et patron de Snap, déclarait que les vraies lunettes de réalité augmentée n'existeront pas avant cinq ans. L'éditeur de Snapchat sait de quoi il parle, il est en pointe dans ce domaine avec ce prototype de Spectacles dévoilé il y a un peu plus d'un an.
En attendant, il faudra composer avec un casque qui restera probablement cantonné à la maison, alors que l'iPhone a au moins le mérite de proposer des expériences de réalité augmentée en mobilité.
Mais pourquoi pas ?
Est-ce que c'est déjà fichu pour le casque de réalité mixte d'Apple ? Non, bien sûr. Le lancement du produit va se faire a priori en deux temps, selon Ming-Chi Kuo : présentation en janvier 2023, distribution d'un kit de développement, disponibilité auprès du grand public aux alentours du mois de juin.
Cela laisse quelques mois à Apple pour faire monter la sauce, un peu comme le constructeur l'avait fait pour l'Apple Watch : présentée en septembre 2014, la montre a été commercialisée en avril 2015 avec un SDK dans l'intervalle. Le casque de réalité mixte pourrait suivre un calendrier similaire.
Et pour peu qu'Apple sache vendre sa vision de la réalité augmentée, peut-être que le dévoilement officiel de l'engin allumera la mèche de l'engouement auprès du grand public !
Portrait-robot du casque de réalité virtuelle et augmentée d'Apple
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La rumeur est d'ailleurs contradictoire à ce sujet, d'un côté la rumeur a comparé le casque de la Pomme à un « rêve de développeurs de jeux », de l'autre on a parlé d'un dispositif qui ne serait pas très porté sur le sujet. ↩︎
Source : Vignette : concept @Marcus Kane